Alexandre BROUSSILOVSKY – Violoniste
P.M : Pour quelle raison avez-vous choisi le violon ?
A.B: Oh, ça, c’est une histoire qui remonte à ma petite enfance lorsque j’avais quatre ans et demi : j’étais dans la rue avec ma grand-mère, je chantais quelque chose et un monsieur, qui m’a d’abord fait très peur parce qu’il n’avait qu’un oeuil, est venu nous voir en disant à ma grand-mère que j’allais devenir musicien.
P.M : Il a fait ça avec son seul oeuil ?
A.B: Son seul oeuil et ses deux oreilles : il était professeur de violon. Après, il est venu à la maison et il m’a donné un violon, j’ai commencé à étudier et ça m’a beaucoup plu.
P.M: C’est le destin qui a fait les choses. Vous jouez sur un violon ancien ?
A.B : Ca dépend, celui-ci est mon violon depuis plusieurs années, c’est un instrument
qui a 260 ans.
P.M: Vous l’avez acquis en Russie ?
A.B : Oui, c’est mon instrument de toujours mais maintenant j’ai un autre instrument qui vient des Etats-Unis, c’est une copie de Guarneri et c’est un instrument fabuleux, un très grand violon, je joue sur l’un ou l’autre selon la salle, l’acoustique et aussi selon les oeuvres.
P.M : Quel a été le fil conducteur de votre programme de ce concert du Festival de Sully-sur-Loire?
A.B : Il est dans l’esprit du Festival du Pont Alexandre III : la première partie consacrée à un compositeur vivant en Arménie à Erivan à l’heure actuelle – il s’agit de Hovunts : un être extraordinaire et un musicien très honnête vis à vis de son art. Il a brûlé et détruit ou caché beaucoup de ses oeuvres :à son âge (il a 60 ans) il en est à l’opus n°1 ! La sonate que nous avons interprétée était une première audition en France. Je trouve que c’est une oeuvre très spéciale et belle qui, sans rompre avec la tradition, possède une caractéristique spécifique : le compositeur joue sur les tonalités majeur/mineur et on ne sait pas exactement où on en est. Ensuite nous avons interprété des oeuvres de compositeurs d’Ukraine – Skoryk et Revutsky, le premier est encore vivant ; Revutsky est un post-romantique de la premeière moité du XXème siècle : il a beaucoup de liens avec Rachmaninoff et donc nous avons fait le « Pont » avec Rachmaninoff. C’était une grande première partie que le public a très bien accueilli.
P.M : Parlez-nous du Festival « Pont Alexandre III »
A.B : Ce Festival est le symbole des liens entre la France et la Russie, il a été inauguré en 2000 à l’occasion du centenaire du Pont Alexandre III (nous avons un magnifique Comité d’Honneur.). Il a eu lieu chaque année régulièrement jusqu’en 2004 puis il y a eu une pause malgré le grand succès auprès du public.
P.M : Où a-t-il lieu ?
A.B : Toutes ces dernières années il avait eu lieu en Russie : un festival de musique française avec une cinquantaine d’artistes français qui sont venus à Moscou ; il y avait aussi des petites formations avec des instruments originaux comme l’orgue de cristal et c’était toujours une ambiance très joyeuse et une agréable découverte de beaucoup de compositeurs qui ne sont pas connus à Moscou, en France non plus d’ailleurs. J’ai redécouvert les oeuvres d’Aymé Kunc – compositeur toulousain, complètement oublié, un grand compositeur qui a eu le prix de Rome alors que Ravel le présentait aussi. J’ai donc essayé de le faire renaître, j’ai rajouté une pièce sur le disque qui s’appelle « Pastorale« , c’est un vrai concerto qui a eu beaucoup de succès à Moscou et je vais la réenregistrer en France pour notre maison de disques.
P.M : Vous voulez dire pour « Suoni e Colori »? Vous êtes toujours à la tête de cette maison de disques ?
A.B : Oui et je suis bien content, je fais face et j’assume tous les obstacles mais en échange, j’ai la liberté.
P.M : Suoni et Colori existe depuis longtemps?
A.B. Depuis une quinzaine d’années – d’abord avec nos propres enregistrements et ensuite avec de grands musiciens, de grands amis, le dernier disque avec Volodymyr Vynyitski vient de sortir avec des oeuvres de Chostakovitch : les sept poèmes d’ Alexandre Blok avec Tatiana Smirnova – une magnifique soprano de Moscou, soliste du « Nouvel Opéra » qui, pour moi, est le meilleur opéra à Moscou : ce sont de jeunes artistes qui chantent très bien et qui jouent également très bien : ce sont ausi des acteurs et des actrices. C’est très intéressant. J’ai aussi fait découvrir la musique de d’Alexandre Tansman qu’on ne connaît pas en France et pourtant c’est de la musique française. J’ai amené trois compositeurs qui étaient en résidence avec moi : Philippe Hersant, Renaud Gagneux, et Yves Prin.
La dernière fois j’ai joué une oeuvre d’Yves Prin à Moscou sous sa direction et j’ai fait la même chose à Paris. L’année dernière j’ai fait venir mon grand ami Efrem Podgaïtz qui a dirigé lui-même un concerto pour 2 violons lors du concert au Sénat. Il y a eu une grande série de concerts : à la Sorbonne, à la Salle Cortot, au Sénat. Je pense qu’il est intéressant qu’un compositeur vienne avec nous sur scène. J’aimerais bien faire venir Hovounts, à mon avis il n’est jamais sorti de Erevan, nous communiquons par téléphone, nous allons enregistrer la sonate que nous avons jouée ici, ce sera le premier disque de ses oeuvres.
P.M : Vous êtes un découvreur de talents
mourante : en ce moment les jeunes sont coupés du passé, des traditions, de la culture, ils ont leurs oreilles bouchées. Le Festival Pont Alexandre III était annuel, je suis de nouveau sollicité pour revenir à Moscou mais j’ai beaucoup d’hésitations et je vais voir s’il y a une réorganisation (tous mes invités sont venus avec beaucoup de joie et de bonheur et qui plus est, gracieusement, c’est bien et sympathique mais on ne peut continuer ainsi tout la vie : il est normal de rémunérer les artistes qui vivent de leur art.) C’est ce Festival que j’ai amené à Paris l’année dernière avec le programme dont je vous ai parlé.
P.M : Souhaitons donc longue vie au Festival du Pont Alexandre III et à la musique que vous faites découvrir et revivre.