Interviews
Le 03/07/2000

VLADIMIR SPIVAKOV – Violoniste – Chef d’orchestre –

P-M : Nous vous remercions de nous recevoir alors que vos fonctions de Directeur Artistique du Festival de Colmar, de chef d’orchestre et de soliste doivent vous imposer un emploi du temps très chargé.

V.S. : Effectivement, la veille de l’ouverture du Festival est un jour chargé de tensions afin que l’ouverture en soit réussie.
Je vous ai apporté le texte de la traduction en Français de  » Mozart et Salieri « , au verso l’illustration de A.Benois fait partie de ma collection personnelle.

P-M : Vous vous intéressez à la peinture ?

V.S. : Oui, depuis une quinzaine d’années, je collectionne des oeuvres du début du 19 ème siècle, surtout celles liées à Diaghilev.

P-M : Revenons à la musique, vous êtes à la fois violoniste et chef d’orchestre, comment êtes vous venu à la direction d’orchestre ?

V.S.: Lorsque j’étais petit, nous vivions à Léningrad et ma mère enseignait tandis que mon père soignait ses blessures de guerre. Il n’y avait donc personne pour me garder, je restais à l’école de musique et me promenais de classe en classe. La consigne donnée au concierge était de ne pas me laisser sortir dans la rue, j’aimais aller dans la classe d’orchestre et j’avais quatre ans lorsque pour la première fois j’ai dirigé un orchestre !

P-M : Vous effectuez de nombreuses tournées, quel est votre destination après le festival de Colmar ?

V.S: Je vais à Zurich pour 5 jours.

P-M : Votre domicile permanent se trouve t-il en France ?

V.S. : Non, à Moscou mais aussi en France, il est difficile de dire que j’ai un domicile fixe dans la mesure où je me déplace en permanence.

P-M : Vous êtes Directeur Artistique du Festival de Colmar depuis 12 ans, Le Festival se développe tant en point de vue de la programmation que de l’auditoire ?

V.S.: Oui, le festival se développe très bien, cela fait la Huitième fois que Le New-York Times en parle, dans sa rubrique de classement des Festivals. Colmar est placé en premier parmi tous les Festivals de France.

P-M : Sa durée est toujours la même ?

V.S. : Oui, sensiblement la même, il faut donc, en quinze jours proposer 27 concerts, ce qui représente un vaste programme.
Les enfants prennent part à ces concerts…

P-M : Nous aimerions vous poser quelques questions au sujet de votre fondation pour les enfants. C’est une activité à laquelle tous le musiciens ne se dédient pas.

V.S. : Je m’appuie sur des personnes qui, non seulement font confiance mais qui aiment les enfants et qui ont trouvé leur voie dans ce domaine, à Moscou, dans la Fondation.

P-M : Comment-est-ce organisé ? Dans différentes écoles musicales de Russie, une sélection est opérée afin de trouver les enfants les plus doués ?

V.S. : Oui, il y a une sélection lorsque je suis en Russie, j’écoute les enfants moi-même. Il y en a beaucoup, 1500 enfants sont déjà passés par la Fondation.

P-M: Une fois sélectionnés, ils ont une bourse ?

V.S : Ils ont une aide matérielle et morale. C’est très important pour un individu de savoir que l’on a besoin de lui, tant pour un artiste que pour un individu.

P-M : Depuis combien de temps cette fondation existe-t’-elle?

V.S : A peu près 8 ans.

P-M : Et c’est vous qui choisissez les enfants qui donneront un concert dans le cadre du festival de Colmar ?

V.S : Oui, chaque année ce sont d’autres enfants qui viennent. Actuellement, la fondation s’est tellement développée qu’elle existe de sa propre vie. je suis informé de ce qui se passe, par exemple ils sont allés en Turquie et ont joué pour les enfants blessés lors du tremblement de Terre, ils ont joué à Nice au profit de la recherche dans la chirurgie pour enfants, ils sont allés en Grèce avec une exposition, ici aussi il y a eu une magnifique exposition.

P-M : Ils ont donc la possibilité de beaucoup voyager et de se produire en concert et vous suivez leur développement musical ?

V.S. : Bien évidemment.

P-M : Nous avons entendu dire que vous avez un très rare Stradivarius ?

V.S. : Ce sont quelques personnes qui se sont réunies pour l’acquérir afin que j’en joue.

P-M : C’est donc votre propre violon ?

V.S : Ce n’est pas le mien mais j’en joue et le lien d’un musicien avec son instrument est très fort.

P-M : Particulièrement lorsqu’il s’agit d’un instrument si rare et précieux. quels sont vos compositeurs russes préférés ?

V.S : J’aime beaucoup Tchaïkovsky et Rachmaninoff, Chostakovitch dans le plus récents Schnittke parmi les contemporains.

P-M : Vous donnez des concerts en Russie également, à Moscou et Saint – Pétersbourg ou dans d’autres villes?

V.S : Dans tout le territoire de l’ex-Union soviétique, j’aime beaucoup voyager en Russie, souvent d’avantage qu’à l’étranger. Vous avez une idée de la manière dont on accueille Michael Jackson ? C’est ainsi que je suis accueilli en Russie.

P-M : Et dans votre ville natale, y allez vous souvent ?

V.S. : Non, pas du tout, j’y suis allé seulement 2 fois, la première lorsque je suis né et la deuxième 50 ans plus tard.

P-M : Combien de temps avez vous vécu à Oufa ?

V.S: Seulement une année.

P-M : Vous n’avez donc pas de souvenirs d’enfance dans cette ville ?

V.S : Non, je sais seulement que suis né dans la rue Glinka.

P-M : C’était donc un signe de la destinée !

V.S : Oui, et maintenant je vis dans la rue Verdi, à Paris!

P-M : L’orchestre que vous avez créé  » Les virtuoses de Moscou  » comportait les meilleurs musiciens.

V.S. : La crème de La crème.
J’ai pensé au début que ce serait comme avec Pouchkine. La fraternité au lycée, c’était mon idée mais je ne l’ai pas entièrement réalisée. Le monde change beaucoup. Nous sommes allés en Espagne, une partie des musiciens sont revenus à Moscou, d’autres sont restés en Espagne à Oviedo.

P-M : Quel âge ont vos enfants ?

V.S. : 15, 12 et 5 ans. ils font leurs études à Paris, ils parlent en russe, espagnol et français et bientôt parleront anglais, le monde leur sera donc ouvert.

P-M:  Vous- même lorsque vous dirigez un orchestre qui n’est pas russe, vous vous exprimez en Français ?

V.S. : En français, en anglais ou allemand, je n’ai jamais étudié le français.

P-M : Mais vous le parlez très bien.

V.S : Pas aussi bien que mes enfants alors en leur présence, je ne m’exprime pas en français. Hier j’ai acheté 4 violons pour les enfants de la fondation avant de venir à Colmar. Deux iront en Arménie et les 2 autres en Ouzbékistan. Ils partiront dès demain. J’ai dans toutes les républiques des filiales de la Fondation, et dans les 3 républiques Baltes, en Biélorussie, Ukraine…

P-M : Ces enfants viennent-ils à Moscou pour terminer leur formation ?

V.S. : Cela dépend. Quelquefois ils restent sur place. s’ils ont besoin d’aide médicale qui ne se trouve pas sur place, ils vont à Moscou et quelquefois dans d’autres pays. Je trouve de l’aide, des sponsors, j’ai des amis qui m’aident. On nous apprenait autrefois qu’à l’Ouest les capitalistes étaient des sans-coeur. Il s’est avéré qu’il n’en est rien. Il y a des gens qui ont du coeur, de la compréhension et de l’amour pour les enfants.

P- M : Allez vous vous reposer après le festival ?

V.S. : Oui, mais mon repos c’est la préparation de la saison prochaine. C’est à dire que je ne donne pas de récitals, enfin il faudra quand même donner un concert fin Août à Cologne, ensuite j’ouvre la saison à Moscou avec l’orchestre National de Russie.
Le 8 Septembre, je jouerai un concerto en mémoire du père Alexandre Menn, c’était mon père spirituel et le 9 Septembre cela fera 10 ans qu’il a été assassiné.

P- M : C’est vous -même qui choisissez l’artiste auquel est dédié le Festival, comme cette année Arturo Benedetti Michelangeli ?

V.S : Oui, c’est moi-même qui choisis. La femme de Michelangeli viendra au festival, elle a été très touchée par ce que j’avais écrit à propose de A.B.Michelangeli.

P-M: Avez-vous déjà choisi le musicien à qui sera dédié le prochain festival ?

V.S : Oui, ce sera le violoniste Joseph Sighetti

P-M : C’est une idée intéressante que de consacrer chaque festival à un musicien célèbre Il semble que cela n’existe qu’à Colmar.

V.S. : Oui, il n’y a pas d’autre festivals qui le fasse, lorsque j’ai pris mes fonctions au premier festival une jeune journaliste m’a dit  » nous avons en France, autant de festival que de sortes de fromage , qu’apportez-vous de neuf ?  » Je lui ai répondu :  » une nouvelle sorte de fromage que vous n’avez jamais goûté « . C’est ce qui est arrivé et tout le monde l’apprécie maintenant.

P-M : Comme l’un des meilleurs ou même le meilleur. ce festival existait-il avant votre venue

V.S : Oui, c’était Karl Munchingen qui le dirigeait mais il a arrêté en raison de son âge et je suis donc parti sur des bases nouvelles et différentes selon ma propre conception.
A la fin du festival j’aime faire une surprise ainsi lors du festival consacré à la violoncelliste Jacqueline Dupré, nous avons baissé la lumière et les sons de son violoncelle se sont fait entendre comme s’ils venaient du ciel.
Lors du festival consacré à Chaliapine tous ceux qui étaient là comprirent que malgré l’excellence de tous les autres chanteurs Chaliapine reste inégalable. Le public en avait les larmes aux yeux..

P-M : Dans le film d’Elizabeth Kapnist qu’on a récemment pu revoir à la télévision, vous évoquiez Chaliapine en disant que durant des millénaires, la terre forme des diamants qui parviennent parfois à la surface et éclairent notre vie et que Chaliapine a été un de ces diamants.

V.S: C’est exactement cela.

P-M  Et vous avez le temps, malgré toute la diversité de vos activités de vous exercer au violon ?

V.S : Oui, bien-sûr celui qui a peu de temps commet moins de pêché dit-on !

P-M : Combien de musiciens constituent L’Orchestre National de Russie ?

V.S : 125 et ils viendront tous à Colmar, au début ils seront moins nombreux puis il y aura des concerts avec la formation complète. Tous les jours, j’ai des répétitions et des concerts, c’est un programme qui est un véritable Everest.

P-M : Il nous reste donc à vous remercier et vous laisser vous consacrer à la musique…